Les souvenirs.

J’aime à penser qu’il y a un quota de larmes pour chaque histoire, et que pour cette histoire, il a été utilisé depuis bien longtemps déjà. Mais je ne crois pas que j’ai usé tous les souvenirs, et je me surprenais l’autre jour à me dire qu’il y a bien trop de souvenirs pour oublier. Parce que les souvenirs, c’est ce qui raccroche au passé, c’est cette main qu’on tend en arrière alors qu’on met un pied devant l’autre. Les souvenirs, ça rassure un peu mais je crois aussi surtout que ça empêche d’en faire des nouveaux, d’un peu plus beaux, d’un peu plus différents, d’un petit peu mieux aussi. C’est bête un souvenir finalement.

Et des souvenirs, il y en a beaucoup. Il y a ce collier qu’il nous a donné, « pour que tu te souviennes, c’est un cadeau ». Cette journée d’été où on a fini par se rejoindre et partager une glace, « Serveurs, deux cuillères, s’il vous plait ». Ces vêtements trop souvent portés devenus comme des reliques. Cette chemise qu’on a voulu voler parce qu’elle nous allait si bien et que c’était assez drôle, disons-le, de le voir partir à ce déjeuner avec ses parents, torse nu sous son manteau. Cette veste, bien trop souvent revêtue sur les épaules nues. Empruntée sous motif de pouvoir magique lors des révisions ou de matins un peu frais à la sortie de la couette. Il y a eu des discussions où on a refait le monde, trois heures du matin et aucune envie de dormir, on s’imagine déjà au dessus de l’océan indien s’en allant visiter la Thaïlande ou un peu plus près, la Bretagne parce qu’aucun des deux n’y a jamais mis les pieds. Des chansons aussi, qui à chaque fois qu’elles repasseront rappelleront différents moments comme celui du réveil après une courte nuit à s’être trop aimé, ou encore celles qu’on chantonnaient à deux, et qui à chaque fois nous feront nous demander ce que l’autre est devenu. Il y a les mots des copains, « Tu es différente avec lui », « Tu as de la chance de l’avoir », « Tu as vu comment il te regarde ». Il y a cette lettre bien cachée entre deux pages de ce livre un peu trop aimé, que l’on retrouve. Que l’on déplie mais dont on connaît déjà chaque mot, jusqu’à même la forme des lettres. Il y a cet ami commun à qui, entre deux bières, échappe un « tu as des nouvelles de ? » et s’arrête à temps, et qui se reprend à parler de la pluie et du beau temps, mais c’est trop tard, c’est une déferlante de souvenirs, et toute une histoire qui revient en mémoire, des particules du passé qui, doucement, nous chatouillent les joues. Il y a ces photos que l’on retrouve en voulant faire un peu de tri, photo de vacances, photos de voyages, 2011, 2013 et la photo qu’on ne sait pas bien où mettre, est ce qu’on peut mettre une histoire dans une case. Une photo qui crierait qu’ils se sont aimés l’espace d’un instant, et qu’à cet instant précis, ils y croyaient, il y croyait et c’est un peu l’essentiel. Il y a ces expressions qui lui appartenaient et qu’on lui a emprunté et qu’on se surprend encore aujourd’hui à employer et on se demande si lui aussi, ça lui arrive encore de les dire. Il y a des billets de train, ou une place de cinéma, des mots, des textes griffonnés à l’encre noir ou bleue. Il y a un quai de gare, des horaires de bus, celui de 21h06 le dimanche soir ou le texto de 22h34 pour nous demander de venir. Il y a les ex dont on parlait et les prétendants aussi, et se dire qu’au final, ils ont beau avoir croiser notre vie avant lui, pendant lui. C’était lui, (et ça l’a été pendant longtemps)(et même après) et personne d’autre. Peu importe le petit blond, ou le copain un peu trop complice. Au diable les autres. Il y a les soirées alcoolisées amenant les je t’aime lancés à la volée, que l’on garde précieusement, qui nous faisaient penser que c‘était possible, parce que c’était beau comme dans vraiment beau, et qu’on y croyait un peu, comme dans un peu beaucoup. C’était les projets fous, les promesses qu’on savait pas très réalisables.

Et puis, c’est ne plus vraiment le reconnaître sur une photo. Ne plus le reconnaître entre ses mots. C’est oublier la lettre qui est dans le livre, oublier le collier au fond du porte feuille ou de la boite en ébène posée sur l’etagère. C’est se laisser la possibilité des mains d’un autre sur soi, de découvrir une autre intimité. Se perdre dans d’autres bras, un instant, le temps d’une danse, d’une nuit, toute une vie. C’est se libérer de son emprise. Se libérer de l’emprise des souvenirs. C’est avancer sans plus trop se retourner.

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